Né au Bizet, cadet d’une fratrie de 9, Jean-Claude a commencé son travail à Motte-Cordonnier en 1966 et n’a plus quitté la brasserie jusqu’à sa retraite, en 2006. Il nous raconte son parcours truffé d’anecdotes. Portrait.

Ses premiers jours 

« Je suis entré à la brasserie en 1966, j’avais 15 ans. Mon frère Michel qui y travaillait déjà m’avait dit qu’on cherchait des employés de bureau. J’y suis allé, j’ai passé les tests, des maths, une dictée, c’était M. Michel Motte qui nous faisait passer l’examen… Je n’ai su qu’ensuite que c’était le patron (rires) ! Le 31 mai au soir j’ai quitté la confection Debosque où j’étais apprenti coupeur et le lendemain j’ai commencé à la brasserie, sans prévenir mon ancien patron. Pour l’anecdote, l’entreprise Debosque fournissait des vêtements de travail à Motte-Cordonnier : au début quand mon ancien patron venait livrer, je devais me cacher (rires). À l’époque ça se passait comme ça ! »
 

Sur le quai des fûts

« J’étais considéré comme employé de bureau, mais en fait je travaillais sur le quai des fûts.

J’avais un casque et un laryngophone. Chaque fût était numéroté – c’était des fûts de 31, 50, ou 81 litres – je collais l’étiquette du client et j’annonçais à mon collègue qui était devant le fichier en fiches cartonnées ; évidemment à l’époque il n’y avait pas encore d’informatique. »
 

La première paye 

« Je me souviens bien de ma première paye. C’était M. Michel motte qui nous donnait les enveloppes, puisque on était payé en liquide. Mon frère m’avait prévenu de bien ouvrir l’enveloppe, mais moi c’était pas dans mes habitudes de le faire sur place, je rentrais à la maison et la donnait à ma maman. Mais mon frère a insisté : ouvre l’enveloppe. Je l’ai fait et j’ai constaté qu’il y avait 5 francs de plus. Je suis donc retourné voir M. Motte en disant qu’il y avait une erreur. Il m’a dit « y’a pas d’erreur ! ». J’ai insisté et il m’a dit ‘bon, c’est bien !’ C’était un test. J’aurais rien dit, je n’aurais sans doute pas été pris ! »
 

Création du service informatique

« J’ai travaillé sur le quai des fûts pendant trois ans puis est arrivé le premier ordinateur IBM. Notre service a été supprimé et j’ai été formé à Lille pour devenir perforateur au service informatique qui venait d’être créé. Nous n’étions que des hommes, à l’époque il y avait très peu de femmes à la brasserie (…) Et la hiérarchie était importante, on ne tutoyait pas son supérieur. J’ai donc intégré le service informatique en 1969 et je ne l’ai plus quitté jusqu’à mon départ en retraite. »
 

1968 et la fausse grève

« En 1968, on n’avait aucune raison de faire grève car quelques semaines auparavant les syndicats avaient obtenus tout ce qu’ils avaient demandé, dont la 5e semaine de congés payés. Les salariés de Pelforth et Massey-Ferguson, sachant qu’on travaillait encore, avaient menacé de venir casser du matériel à la brasserie. Alors les patrons nous ont mis dehors ! Il faut reconnaître qu’on avait de bonnes conditions, c’était des patrons reconnaissants. Ils traversaient la cour pour venir nous saluer, et non l’inverse. Nous étions des personnes, pas des matricules. »
 

Après 1993

« Plus tard, avec les différents changements de propriétaires, on a vu arriver ce qu’on a appelé les jeunes cadres dynamiques, l’esprit n’était plus le même. La production s’est arrêtée en 1993 mais l’embouteillage et l’enfûtage continuaient. Les bières arrivaient pré-filtrées par citernes de Louvain et Jupille, en Belgique, elles étaient finies d’être filtrées à Armentières puis mises en bouteilles ou en fûts. Quand je quitte l’entreprise en 2006, un an avant sa fermeture définitive, il ne restait pratiquement plus rien, c’était la fin. On était passé de 1200 salariés quand je suis arrivé à environ 350 quand je suis parti. J’ai eu la chance de par mon ancienneté d’être mis en préretraite. »
 

Le symbole Motte-Cordonnier

« Motte-Cordonnier fait partie de l’identité de la ville, comme les usines de tissage. Quand je dis que j’ai travaillé à la brasserie, même à des personnes qui ne sont pas de la ville, on me dit tout de suite : ‘ah oui, Motte-Cordonnier à Armentières !’ La marque est encore présente partout, il suffit de lever les yeux pour voir l’étoile à l’emplacement des anciens cafés. Les enfants de ma génération ont été élevés à la bière. On en donnait dans les camps de vacances : le gobelet de bière accompagnait le petit pain et le morceau de chocolat, pour le goûter ! À la cantine au collège Saint-Charles où j’étais, on avait de la bière. Bien sûr c’était de la légère, de la Sirius... »
 

L’esprit brassicole d’Armentières

« Ça m’a fait quelque chose de voir que le bâtiment dans lequel j’ai travaillé a été démoli, mais on ne peut que se réjouir de voir que les bâtiments principaux seront restaurés pour garder cette histoire. Aujourd’hui les petites brasseries renaissent, comme celle de M. Henry Motte, c’est une très bonne chose. Il y a aussi la Léonce et Les Chiens d’Mer. Tout le monde ne les connaît pas il faut les soutenir ! Ça montre que l’esprit brassicole d’Armentières continue ! »