De la première brasserie datant du XVIIe siècle jusqu’à l’apogée de l’entreprise symbolisée par son superbe château-usine construit il y a tout juste 100 ans cette année, parcourons l’histoire de l’une des plus grandes épopées industrielles de la région.

La brasserie Motte-Cordonnier trouve ses origines en 1650, mais c'est un siècle plus tard qu'elle est rachetée par Jean-Baptiste Desmazière, ancêtre de Jean Cordonnier. La brasserie sera ensuite transmise de génération en génération. L'union avec la prestigieuse famille textile roubaisienne Motte-Bossut intervient en 1870 avec le mariage d'Edmond Motte et Camille Cordonnier, fille du brasseur Jean Cordonnier : c’est alors que la brasserie prend son nom de Motte-Cordonnier.

Après un incendie ravageant la malterie, en 1889, Edmond Motte-Cordonnier décida de reconstruire sa brasserie rue de Dunkerque, profitant de l’occasion pour l’agrandir. Edmond Motte-Cordonnier accompagna par ailleurs de grandes mutations, avec l’arrivée des bouteilles et la pasteurisation. A partir de 1917, la brasserie subit de nombreux dégâts dus aux bombardements importants sur la rue de Dunkerque.
 

1922 : la construction du « château industriel »

Après la guerre, le terrain de la rue de Dunkerque fut racheté par la Ville pour l’agrandissement des rues. René Motte (qui prit les rênes de l’entreprise après la mort de son père Edmond) acheta la ferme Bayard et son terrain de 8 ha, le long de la Lys, pour y déployer son nouvel établissement. En 1922, il confia à l’architecte Georges Forest la construction d’une nouvelle brasserie plus ambitieuse, composée d’un « château-usine » et de sa malterie attenante : ce sont les superbes édifices que nous connaissons aujourd’hui. Précurseur en matière de brassage, René Motte mit en œuvre un nouveau procédé de fabrication : la production gravitaire. Visionnaire, il importa les méthodes de brassage tchèques pour faire de la bière de fermentation dite « basse », garantissant une meilleure qualité et une meilleure conservation.

S’ensuivit une période qui pourrait être qualifiée d’âge d’or. En effet, les grandes usines, textiles notamment, font croître la population des villes, Armentières y compris. Les ouvriers se retrouvent dans les nombreux cafés, on en recenserait jusqu’à 400 entre les deux guerres mondiales. Ce sont des lieux de la vie sociale où la bière et la convivialité venaient récompenser une dure journée de labeur. Dans un tel contexte, la brasserie Motte-Cordonnier poursuivit une croissance régulière et importante. En 1927 la production s’élevait à 122 000 hectolitres de bière de fermentation basse. Tous les objectifs de la brasserie seront atteints et même au-delà, permettant des innovations techniques ainsi que des investissements annuels importants comme les camions électriques pour les livraisons (en plus des chevaux).
 

Paternalisme

Si Motte-Cordonnier est une grande histoire de famille jusqu’à aujourd’hui encore (lire en page XX), impossible d’occulter les femmes et les hommes qui ont fait la Bière Motte-Cordonnier. En effet, des milliers de collaborateurs se sont succédé à la brasserie Motte-Cordonnier, souvent en famille, de génération en génération. 
 

Le modèle du patronat paternaliste était prégnant, soucieux d’accompagner le salarié dans sa vie quotidienne. Chez Motte-Cordonnier, cela se traduisait par des logements sociaux, des colonies de vacances, de grands banquets, des jardins ouvriers autour du site de production... sans oublier la chapelle.
 

Le n°3 français de la bière

La Seconde Guerre mondiale n’affecta que peu la brasserie. L’Après-guerre fut une étape supplémentaire dans l’aventure Motte-Cordonnier. En effet, sur plus de 2 300 brasseries en 1913, il n’en restait plus que 130 en 1960 et une petite trentaine en 1970. Dans une exigence de couverture nationale du marché, Motte-Cordonnier racheta une brasserie à Amiens, puis à Caen, ainsi que de nombreux entrepôts dans tout l’Hexagone. La brasserie d’Armentières connut quant à elle de nombreux investissements. En 1947, la brasserie produisait 300 000 hectolitres de Bière de fermentation basse, estampillées Étoile rouge, Étoile d’or, Étoile noire, Oxford, Vega, Bock M. C. En 1951, les audacieux frères Motte créèrent une brasserie à Bangui, en République Centrafricaine. Sa production annuelle augmente rapidement pour atteindre 800 000 hectolitres en 1960.
 

1970 : un pacte avec Stella Artois

1970 marque un tournant dans l’histoire de la brasserie. En effet, Motte-Cordonnier est à cette période le n°3 français sur le marché. L’Europe se forme et la création du marché commun pousse à la concentration des acteurs. La consommation baisse dans les cafés, qui représentent le marché de prédilection de la brasserie et la grande distribution explose, tirant les prix vers le bas. Motte-Cordonnier, malgré une stabilité grâce à son actionnariat majoritairement familial, n’a pas les moyens d’affronter seul ces nouveaux défis. En effet, la société est trop petite parmi les grands groupes et trop grande parmi les petites brasseries françaises. Stella Artois, leader en Belgique, veut s’implanter en France et scelle donc un pacte avec Motte-Cordonnier en lançant une OPA amicale sur la majorité du Capital en 1970.
 

Fermeture… et renaissance !

Armentières devient alors le fer de lance de Stella Artois pour accéder au marché français. Dans le même temps, forte de cet appui, la société Motte-Cordonnier conforte sa 3e place sur le marché. Mais après avoir envisagé un triplement du site, Motte-Cordonnier, devenue Sébastien Artois en 1982 puis Interbrew et ABInbev 21 en 2005, va progressivement mettre le site en sommeil. En 1993, on ne brasse plus à Armentières, en 2001, c’est l’embouteillage qui est arrêté, suivi de l’enfûtage en 2003 et enfin, en 2008, l’activité logistique ferma ses portes définitivement.

Trois cent cinquante années d’une belle aventure industrielle ayant compté pour des milliers d’Armentiérois, s’achevait. Mais le point final n’était pas encore écrit. En 2019, en effet, les descendants Motte-Cordonnier de la 9e et 10e génération des célèbres brasseurs d’Armentières recréent la société avec l’ambition de rendre au prestigieux établissement ses lettres de noblesse. En mai 2021, la nouvelle brasserie Motte ouvre ses portes à la Ruche des 2 Lys…