Enseignant-chercheur à l'Université de Lille, Ludovic Lesven nous explique les mécanismes à l'œuvre dans le dérèglement climatique et les conséquences pour aujourd'hui et demain. 

La planète se réchauffe, ce n’est plus un débat scientifique et nous en percevons désormais les effets. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les gaz à effet de serre que nous émettons provoquent le réchauffement climatique ?

Ludovic Lesven : « Dans l’atmosphère de notre planète Terre, certains gaz à effet de serre, tels que le dioxyde de carbone et le méthane, sont naturellement présents. Sans ces gaz à effet de serre (qui ont le pouvoir de retransmettre les rayonnements infrarouges vers la surface terrestre), la température moyenne sur Terre avoisinerait les -18°C (au lieu de 15°C en moyenne aujourd’hui). Depuis la révolution industrielle, les activités humaines ont bouleversé cet équilibre en provoquant une augmentation de 42 % de la teneur en CO2 dans l’atmosphère en 172 ans ! Cette augmentation du dioxyde de carbone (en plus des autres gaz à effet de serre tel que le méthane ou le protoxyde d’azote) provient de la combustion des énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) ou encore de la déforestation. Ce surplus de gaz à effet de serre (40 milliards de tonnes de CO2/an) vient s’ajouter aux gaz à effet de serre déjà présent dans l’atmosphère en provoquant par voie de fait une augmentation des températures terrestres mais de manière inégale (un peu plus aux pôles). »   

   
Dans notre quotidien, quelles sont les activités qui engendrent des rejets de CO2 ?

« Dans notre quotidien, ce sont les secteurs du transport (déplacement domicile-travail en voiture, avion pour les vacances…), de l’alimentation (consommation de viande bovine, de fruits et légumes non locaux et hors saison…), du logement (chauffage, électricité, mauvaise isolation…) et des achats (importation de matériels électronique, vêtements…) et des déchets (incinération, stockage…) qui engendrent les plus fortes émissions de CO2 par personne. Sur les 435 millions de tonnes d’équivalent CO2 émis sur le territoire français en 2019, plus du tiers concerne le secteur du transport et spécialement l’usage de la voiture (16,5% des émissions globales - 72 millions de tonnes). L’agriculture émet 19% de gaz à effet de serre en équivalent CO2 soit 84 millions de tonnes. Dans ce secteur agricole, l’élevage émet la moitié de ces gaz à effet de serre (9 millions de tonnes). On comprend donc l’intérêt de prendre moins sa voiture et consommer moins de viande pour réduire son empreinte carbone personnelle ! » 

 

Températures extrêmes, ouragans plus puissants, submersion marine... Les scientifiques nous promettent un scénario d’apocalypse pour les prochaines décennies si rien n’est fait. N’est-ce pas exagéré ?

« Et à cela, on pourrait ajouter également l’acidification des océans (les eaux sont de plus en plus acides à cause de la dissolution du CO2 dans l’océan : par exemple tout ce qui est calcaire (phytoplancton, coraux…), va être affecté à différentes échelles à l’image du vinaigre blanc que l’on met dans une bouilloire pour faire disparaitre le calcaire… Pour les autres phénomènes, on les observe déjà tous depuis beaucoup d’années. Ils sont nommés événements extrêmes. Pour la région HdF, outre l’augmentation de la température, on va observer une augmentation des très fortes pluies et des périodes de sécheresses et de canicules. Ces phénomènes sont en partie dus à une modification du cycle de l’eau sur Terre. Par exemple, l’origine d’une sécheresse s’explique par l’apparition de graves déséquilibres hydrologiques avec tout d’abord un déficit anormal de précipitation qui va se poursuivre avec un déficit des stocks d’eau dans les sols (problèmes pour l’agriculture) puis dans un troisième temps avec un problème de recharge des nappes phréatiques (problème de ressource en eau potable). Le type de sols, la végétation en place, les antécédents, sont autant de facteurs qui vont aggraver ou atténuer ces sécheresses. Aujourd’hui la France est à 15% méditerranéenne. Elle sera à 50% d’ici la fin du siècle ! » 


 

Dans votre discipline scientifique, percevez-vous les effets du dérèglement climatique ?

« Je suis récemment parti aux îles Kerguelen (territoire français à l’extrême sud de l’océan Indien) pour une mission scientifique de 4 mois. Depuis les années 50, lorsque la base de Port-aux-Français s’y est établie (et que les relevés ont commencé), la moyenne annuelle des températures a augmenté de 1,5 °C et la pluviométrie a diminué de quasiment 50% ! Là-bas, se trouve le plus grand glacier de France : la Calotte Cook. En l’espace de 40 ans, sa superficie est passée de 500 km² à 400 km² ! »

« Plus proche de chez nous, j’étudie les impacts du changement climatique sur la qualité des eaux via des programmes de recherche. Les tendances dans la région sont les suivantes d’ici les années 2070 (programme explore 2070) : moins de recharges des nappes phréatiques, augmentation de la température des eaux (+1,6°C), augmentation du niveau de la mer (+45 cm / 2020), baisse de la pluviométrie (-5 à -10%) et du débit des rivières (-25 à -40 %), augmentation de la température de l’air (+2°C), augmentation de la durée des sécheresses et des canicules, plus de fortes pluies… C’est justement ce dernier paramètre qui nous intéresse. Nous avons essayé d’évaluer comment les fortes pluies vont aggraver la pollution des eaux. Et c’est surtout le lessivage des sols (déjà pollué et cela d’autant plus après une longue période de sécheresse) qui va très fortement contribué à cette altération de la qualité des eaux (couplée, en plus, à moins d’infiltration et donc à un niveau des nappes plus bas !)… »

 

En discutant du sujet entre amis, en famille, entre collègues, on entend souvent l’idée que le réchauffement climatique serait dû au cycle naturel de la vie de notre planète. Est-ce vrai ?

« L’activité solaire (orientation et inclinaison de l’axe terrestre) et les variations des formes de l’orbite et de l’ellipse terrestre sont des facteurs naturels qui sont l’explication d’un climat plus chaud dans le passé. Mais des facteurs n’ont eu qu’un impact tout à fait négligeable depuis le début de l’holocène (notre ère) débutée il y a 12000 ans. A titre d’exemple, le volcan Islandais a émis 100 fois moins de CO2 par jour que la Chine par jour cette même année de son éruption. »  

 

Que peuvent faire les villes pour lutter contre le réchauffement climatique ?

« Développer les réseaux de transports en commun, développer les énergies renouvelables, les pistes cyclables, favoriser les petits magasins et le commerce de proximité, valoriser les agriculteurs locaux…. »

 
Et pour un citoyen, une famille ?

« Commencer par faire un bilan de son empreinte carbone (par exemple : bilans-ges.ademe.fr) puis selon le résultat, changer sa chaudière par une thermodynamique, manger moins de viande, acheter locale, prendre moins sa voiture… » 

 

Le défi semble immense. Peut-on vraiment enrayer le réchauffement climatique ?

« Aujourd’hui on ne peut plus l’enrayer mais on peut l’atténuer. Il faudra soit faire confiance au génie scientifique et technique (adaptation des bâtiments aux inondations et forts vents, stations d’épuration plus efficace, gestion de l’eau améliorée, agriculture adaptée aux sécheresses…) soit vivre avec plus de sobriété (moins mais mieux !). Une ville avec plus de végétation, de noues, moins de circulation (moins de pollutions, moins de bruits), plus de biodiversité… »  

 

Qui est Ludovic Lesven ?

Originaire de Bretagne, Ludovic Lesven est aujourd’hui chercheur à l’Université de Lille au sein du Laboratoire de Spectroscopie pour les Interactions, la réactivité et l'Environnement, et Maître de Conférences. Il étudie le comportement, la réactivité et le suivi des métaux et du soufre dans des environnements aquatiques variés à l’interface entre l’eau et le sédiment. « C’est un sujet de recherche qui revêt une importance capitale car la pollution dans ces milieux peut affecter, entre autres, la biologie aquatique », explique Ludovic Lesven.

En 2021, il a mené une expédition scientifique sur les îles Kerguelen avec deux autres chercheurs de l’Université de Lille afin de mesurer les effets du changement climatique. Ludovic est aussi un scientifique engagé sur le terrain de la vulgarisation : en octobre 2022, il a été l'ambassadeur de la Fête de la science pour la région des Hauts de France.

En quelques dates

  • 2008 : Doctorat en Chimie de l’environnement Aquatique – Chimie de l’eau
  • 2008 : Enseignant-chercheur au Laboratoire Géosystèmes à Villeneuve-d’Ascq
  • 2009 : Chercheur au Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales à Toulouse
  • 2010 : Enseignant-chercheur au Laboratoire Géosystèmes à Villeneuve-d’Ascq
  • 2011 : Arrivée au LASIRE à Lille et nomination en tant que Maître de conférences
  • 2021 : Expédition scientifique sur les îles Kerguelen dans le cadre du projet ENVIKER

 

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